C'est l'un des jeux préférés de Wall Street : estimer les résultats futurs des sociétés cotées. Chaque banque publie régulièrement une note qui détaille ses projections, généralement pour les 2 prochaines années, et fixe un prix cible "target price" auquel l'entreprise devrait arriver à moyen terme. L'ensemble de ces estimations auprès de toutes les banques forment ce qu'on appelle le consensus des analystes.
Une pression sur l'entreprise
Côté entreprises, ces estimations mettent une forte pression sur les dirigeants. Trimestre après trimestre, ceux-ci sont ainsi sommés de battre le consensus, sans quoi le cours de leur action pourrait violemment chuter, et la côte de popularité du dirigeant avec.
Le problème, c'est qu'à force d'estimer les résultats, on finit par plus prêter attention au fait d'avoir battu ou non le consensus plutôt qu'aux résultats eux-mêmes. Savoir qu'une entreprise a augmenté son chiffre d'affaires de 28% n'intéresse pas beaucoup les médias. En revanche, il suffit qu'elle manque le consensus de ne serait-ce que d'un cheveu, pour causer un raz-de-marée médiatique.
Un jeu sans fin
Les dirigeants des sociétés ont bien conscience de cela. Peu importe leurs résultats, pour avoir bonne presse, il faut avant tout dépasser les attentes. Alors elles ont trouvé la parade. En publiant leurs orientations, ou guidances pour le prochain trimestre, elles permettent elles aussi de donner aux marchés une idée de leurs résultats à venir. En donnant des orientations particulièrement conservatrices, elles se laissent ainsi un peu de marge en s'assurant de surprendre positivement lors des prochains résultats.
Le problème est qu'à force, cela se voit. Ainsi, si une société publie une orientation pour son prochain trimestre à 500m$ de revenus, mais qu'elle a battu chacune de ses précédentes orientations par le passé de 5%, les marchés savent que ces 500m$ sont sous-estimés.
Si l'entreprise finit par effectivement faire 500m$, il y a fort à parier que les marchés finiront déçus, faisant ainsi chuter le cours de l'action. Pire : même si une entreprise annonce d'excellents résultats, mais donne une orientation conservatrice pour le prochain trimestre, son cours peut fréquemment chuter. En cause, "de très bons résultats, mais une orientation décevante" selon les analystes.
Les dirigeants sont donc systématiquement piégés :
Soit ils décident de viser haut pour le prochain trimestre, manquent leur orientation, et se font critiquer pour avoir manqué leur orientation
Soit ils décident de viser bas pour surprendre positivement, mais se font critiquer pour avoir donné une orientation décevante.
Pour ne rien arranger, les banques elles-mêmes ont tendance à donner des orientations excessivement conservatrices : il est moins préjudiciable d'avoir sous-estimé les résultats de l'entreprise analysée que l'inverse.
Comment, en tant qu'investisseurs, devons nous réagir face à un tel casse-tête ? La réponse est simple : ne cherchez pas à rentrer dans ce jeu. Chercher à anticiper le fait que le consensus de l'entreprise a été sous-estimé etc. non seulement vous rendra fou, mais ne vous fera pas mieux performer. Car si ce jeu du chat et de la souris impacte largement le cours de l'action à chaque annonce de résultats, il n'a aucun impact sur la performance de l'action sur le long terme.
Seule la performance de l'entreprise compte. Préférez-vous investir dans une société dont les bénéfices augmentent de seulement 5% par an mais qui bat systématiquement le consensus, ou une société dont les bénéfices augmentent de 50% par an qui manque systématiquement le consensus ? Pourtant, la première société sera souvent bien mieux vue dans les médias que la seconde, qu'on taxera facilement de surcôtée.
Dans une étude parue en 2013 intitulée Avoiding the consensus-earnings trap, le cabinet McKinsey a analysé la performance de l'action des sociétés en fonction de deux paramètres:
La performance de leur activité
Leur tendance à battre ou à manquer régulièrement le consensus des analystes
Les résultats sont clairs:
Ainsi, une entreprise à forte croissance (colonne de gauche) et au ROIC élevé, même si elle manque 4 fois sur 7 les estimations des analystes, ne subit pas de baisse significative de son cours.
A contrario, une entreprise qui bat régulièrement le consensus, mais aux performances opérationnelles faibles, sous-performe son secteur.
En un mot, la bourse récompense les entreprises qui marchent, et cela doit être votre principal critère. C'est aussi simple que cela.
Comme le dit si bien Warren Buffett :
"Investir est simple, mais pas facile pour autant"
La capacité à faire fi du bruit ambiant est clé en bourse. Pourtant, il est aisé de se laisser polluer l'esprit par de savantes hypothèses. Ne perdez donc jamais de vue l'essentiel : pour trouver une action qui performe, choisissez une entreprise qui performe !
bigfish applique une charte de transparence. Pour plus d'informations, veuillez consulter notre politique de transparence dédiée.
François Sockeel
François est le fondateur de bigfish. Son action favorite est Crowdstrike, pour sa capacité à maintenir une avance technologique considérable sur un marché de la cybersécurité en plein essor.
Comentarios